Interview – Laurence Voïta
Rencontre avec Laurence Voïta !
Gagnante du Prix du Polar Romand en 2021 avec Au point 1230, Laurence Voïta a su se faire un nom dans le monde des enquêtes policières suisses. Déjà scénariste et dramaturge, l’écrivaine vaudoise aime se frotter à des styles bien différents, preuve en est cette année avec la publication de La Gingolaise, un récit hybride très réussi, alliant réalité historique et fiction…
Bonjour Laurence ! En guise d’introduction, pourriez-vous s’il vous plaît vous présenter pour celles et ceux qui vous découvrent aujourd’hui ?
Bonjour Rebecca et tout d’abord merci de l’intérêt que vous portez à mes romans. Avant de me consacrer à l’écriture, j’ai enseigné le français et l’histoire de l’art au Gymnase de Burier. Et avant cela encore – il y a longtemps maintenant puisque c’était carrément au siècle dernier ! –, j’ai travaillé à la promotion de spectacles et de films. J’ai aussi dirigé pendant quelques années la Fondation vaudoise pour le cinéma que j’ai contribué à créer, avec des cinéastes de l’époque parmi lesquels Yves Yersin, Jean-François Amiguet et Frédéric Gonseth dont j’apprécie aujourd’hui encore beaucoup les films documentaires qu’il réalise avec sa femme Catherine Azad.
J’ai aimé enseigner jusqu’à la dernière heure de cours que j’ai donnée, une année avant l’âge officiel de la retraite (64 ans à l’époque) et maintenant j’aime infiniment aussi ma nouvelle vie : je me lève très tôt, j’écris le matin. L’après-midi j’ai du temps pour marcher en montagne ou dans la forêt avec mes chiens, me mettre à genoux devant mes plates-bandes de rosiers ou tailler mes fruitiers, observer les quinze espèces d’oiseaux que j’ai dénombrées dans le jardin, et puis passer du temps avec mes petits-fils et mes amis.
Votre sixième roman, La Gingolaise, sorti en mars aux Editions Favre, retrace le destin d’une femme soldat au XVIIIe siècle. Comment cette héroïne est-elle entrée dans votre vie ?
Elle y est entrée par hasard et je pourrais presque dire par effraction. En faisant des recherches sur le 18ème siècle en Suisse romande, pour « habiller » une nouvelle que j’étais en train d’écrire, je suis tombée sur quelques lignes dans un article qui s’intitulait «Les Suisses au service de l’Espagne » par le colonel Repond paru en 1923. Il y était mentionné (pp 177-178) :
« La campagne de Minorque rappelée dans l’aperçu historique ci-dessus fut marquée par un incident qui causa quelque émotion à Port Mahon. Le 26 décembre 1781, au siège du fort Saint-Philippe, un boulet anglais blessait grièvement un jeune soldat du régiment Betschart, qui, amené à l’hôpital, y mourut le lendemain. Or, il se découvrit que ce soldat était une Valaisanne, engagée à dix-sept ans sous le nom de Charles Garain, fils de Pierre Willie, de St-Gingolph.
Son corps, vêtu comme celui des vierges et paré d’une couronne et d’une palme, fut exposé toute la journée du 28 décembre 1781 dans l’église du Carmen à Mahon, et fut porté en terre le lendemain, avec les honneurs militaires, tous les officiers du régiment Betschart assistaient à cette cérémonie. Le signalement officiel de la jeune héroïne disait que son visage était rond, rose et joli, et une chronique contemporaine nous apprend que son intrépidité et sa bonne humeur au feu émerveillaient ses rudes camarades.«
Dans un premier temps, je me suis dit que c’était amusant. Comme c’était un événement assez « sensationnel », j’ai pensé qu’il devait déjà avoir fait l’objet d’études et de textes. Et je l’ai oublié. Quelques mois plus tard, peut-être un jour où j’étais à ma table de travail sans grande inspiration, je suis revenue vers cet épisode pour voir ce qu’on trouvait sur internet à propos de Charles Garain, la jeune femme soldat. J’ai alors découvert le texte source en espagnol qu’on peut lire à la fin de La Gingolaise et aussi qu’il n’y avait rien d’autre, a priori, à son propos.
Dans les pages espagnoles de 1782 – écrites donc peu de jours après sa mort- il était question de la « vérification » de sa virginité et de la récupération qui a été faite de cette toute jeune femme soldat pour « booster » les troupes espagnoles. Cela m’a bouleversée et dès lors je ne l’ai plus lâchée !
Ce double personnage de Charles/Marie Anne vous a donné du fil à retordre, et il n’a pas été aisé de retracer sa vie. Comment s’est déroulé votre travail de recherches ?
Je n’ai effectivement plus jamais rien trouvé d’autre que ces deux pages, ainsi qu’un article d’un historien de la région, Monsieur Michel Galliker, qui reprenait globalement le contenu de ces pages, en 1982, dans le journal de St-Gingolph, à l’occasion du 200ème anniversaire de la reprise de Minorque aux Anglais. J’ai alors décidé d’une part que j’allais inventer tout ce qu’on ne savait pas de la vie de Charles/Marie Anne, et que d’autre part je me renseignerais très minutieusement sur la vie de l’époque dans le Chablais et en Espagne. J’ai fait en quelque sorte le voyage qui me menait vers son 18ème siècle. Un voyage souvent étonnant, passionnant et qui m’a beaucoup plu. La bibliographie que l’on trouve à la fin du livre donne d’une certaine manière la clef de ces recherches.
Lorsque j’ai eu terminé la première version de mon roman, je l’ai soumise à une amie historienne, Françoise Bonnet-Borel, qui en a vérifié la teneur et qui a relevé quelques imprécisions avec finesse et générosité. On a beaucoup discuté, réfléchi à ce qui était prioritaire, on a été très complices, on s’est amusées et on a passé toutes les deux des moments formidables dans ce 18ème !
En cours d’écriture, dès que j’ai compris combien il y avait peu de documents concernant la vie du petit Charles, j’ai également décidé que ma quête, mes recherches et mes décisions d’auteure allaient faire partie intégrante du roman, que j’allais dire à « haute voix » mes interrogations et mes décisions narratives.
J’ai cru comprendre que vous aviez notamment fait le voyage jusqu’à Minorque, lieu de son décès ?
En effet, lorsque le livre était écrit aux deux tiers environ, mon mari et moi sommes partis quatre jours à Minorque, sur les traces de Charles Garain. On est allés au Musée militaire de Mahon, où se trouve la petite statuette qui nous reste d’elle et que l’on peut voir sur le rabat du livre, on a arpenté les lieux des batailles (c’est là que j’ai découvert les liserons bleus et les grands moulins, dont je parle dans le roman) et les routes qui traversent l’île. On s’est rendus aussi dans l’église où elle a été exposée aux yeux de tous après sa mort. J’y ai cherché des archives qui auraient parlé d’elle mais je n’ai rien trouvé. Ceci dit, je vous avoue qu’à ce stade j’avais presque peur de découvrir des informations qui seraient allées à l’encontre de ce que j’avais imaginé d’elle, même si de toute manière j’étais prête à intégrer tout ce que je trouverais dans ma quête de Charles Garain !
En plus de votre métier de professeure de français, vous avez écrit des scénarios et des pièces. Qu’est-ce qui vous a fait prendre le virage vers les romans ? Et pourquoi avoir opté principalement pour le polar ?
J’ai toujours eu envie d’écrire et j’ai toujours été attirée par la fiction. J’aime aussi écrire des dialogues, je vis avec un comédien metteur en scène depuis bientôt 50 ans, il n’y avait donc pas de raison que je choisisse un seul genre littéraire et j’ai beaucoup de plaisir à écrire aussi pour le théâtre ou le cinéma. Pourtant, si je devais me définir, je dirais que je suis avant tout une lectrice et qu’à ce titre, j’aime surtout les romans. J’en lis en moyenne trois par semaine et j’aime infiniment retrouver le soir, ou dans le train ou encore dans une salle d’attente, des personnages auxquels je m’attache au fil des pages, et un récit qui m’entraîne et me fait rencontrer l’autre et me rencontrer moi comme le dit si bien Nancy Huston dans Nord Perdu : « En lisant, nous laissons d’autres êtres pénétrer en nous, nous leur faisons de la place sans difficulté – car nous les connaissons déjà. Le roman, c’est ce qui célèbre cette reconnaissance des autres en soi, et de soi dans les autres ».
Voilà pour mon goût du roman. Pour ce qui est du polar, dans Au point 1230, le premier que j’ai écrit, j’ai eu besoin d’un meurtre, il était nécessaire au récit en cours. J’ai envie de dire qu’il s’agissait là plus d’une décision narrative ou organique au récit que d’un choix littéraire. Ensuite, qui dit meurtre dit enquêteur pour le résoudre, ainsi est né Bruno Schneider. Je me suis attachée à lui et j’ai eu envie de le garder encore un peu au creux de mes romans suivants.
Même si nous sommes en présence de policiers et de drames, vos polars sont peu violents, faisant la part belle à la psychologie et à la sensibilité des personnages. En quoi est-il important pour vous de livrer des histoires empreintes d’humanité ?
C’est en référence à votre précédente question que je réponds à celle-ci si vous le voulez bien. Je suis donc arrivée un peu par nécessité narrative au polar, et cela m’a été très bénéfique car il y a dans ce genre littéraire une exigence de construction qui m’a beaucoup appris. Il n’empêche, ce qui m’intéresse le plus et depuis toujours, ce sont les êtres humains, leurs contradictions, leur complexité, leurs motivations, et dans le cas des enquêtes policières ce qui mène au crime plutôt que le crime lui-même. J’ai toujours aimé m’efforcer de comprendre comment une cause entraîne un effet, qui lui-même peut faire basculer une vie. Et ces interrogations à propos des êtres humains est incontestablement l’essentiel de ce pour quoi j’écris.
Dans La Gingolaise, nous apprenons donc que vous étiez en pleine rédaction du quatrième tome des enquêtes de Bruno Schneider quand l’histoire de Charles s’est imposée à vous. Avez-vous pu reprendre depuis le cours de l’écriture de votre polar ?
Oui ! J’y retravaille en effet, en parallèle avec une troisième pièce de théâtre. De ce nouveau roman j’ai toutes les pièces en main, mais je vais prendre le temps. Parce qu’au-delà de l’intrigue – qui ne sera pas policière au sens strict du terme – je veux approfondir le présent et le passé de mes personnages principaux. En fait j’aimerais arriver à écrire un roman avec mes personnages de polar ! On verra ….
Quelle est votre actualité dans les prochaines semaines ou prochains mois ?
Une très belle actualité pour ce printemps en cours :
Le 16 mai je serai à Payerne, à la Librairie Page deux mille seize, avec Hélène Jacobé, où nous présenterons nos deux romans.
Le 24 mai ma Gingolaise sera de retour chez elle, puisque ce sera St-Gingolph, au Musée des Traditions et des barques du Léman qui m’invitera à présenter mon roman à son AG après une séance de dédicaces dans la cour du musée.
Le 2 juin je participerai avec mes collègues de la région à un dimanche littéraire dans le quartier des Planches à Montreux.
Les 7 et 8 juin j’ai le grand plaisir d’être à nouveau invitée au Festival du LÀC à Collonge, un festival chaleureux et riche de rencontres que j’aime particulièrement
Le 29 juin je serai à La P’tite Librairie de Château d’Oex que j’aime aussi beaucoup.
Et pour finir, ma dernière question traditionnelle : lisez-vous de la littérature suisse ? Si oui, quels ouvrages pourriez-vous recommander aux lectrices et lecteurs du blog ?
J’ai toujours lu des auteurs suisses, mais j’en lis encore beaucoup plus depuis que j’en fais partie, en quelque sorte. Je suis sûre que je vais oublier des collègues que j’aime et d’avance je m’en excuse auprès d’eux et je cite « en vrac », si vous le voulez bien, les auteurs de mes lectures les plus récentes : Joseph Incardona, Catherine Lovey, Nicolas Verdan, Marlène Mauris, Pascale Kramer (comme j’ai aimé ses « Indulgences » !), Jean-Michel Olivier, Christian Lanza, Raphaël Guillet, Nicolas Feuz, Bernard Chappuis et tout près de moi géographiquement, Matteo Salvadore, Emmanuelle Robert et Claude Robert
Un grand merci Laurence d’avoir répondu à mes questions !
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